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Journal

(PR) – Depuis que « Le mot de la semaine » existe (le 4 novembre 1990), c’est la troisième fois que je m’attaque à ce mot, une « suite ininterrompue de lettres entre deux blancs », selon la définition du Robert. Pourquoi tant d’intérêt ? Parce que ce « journal » a marqué la vie de beaucoup de femmes et d’hommes qui ont cru, jusqu’au 13 mars 1994, que le titre ci-dessus les abriterait encore longtemps


   Lorsque le dernier numéro de ce quotidien genevois est paru, il y a donc juste trente ans, certains d’entre nous se sont rappelé la citation de Paul Valéry, au lendemain de la Première guerre mondiale : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles »…

   On peut en dire autant de la presse ! Depuis qu’en 1631 Théophraste Renaudot a créé « La Gazette », le premier journal en langue française, la création de journaux en tout genre n’a pas cessé. C’est au dix-huitième siècle – celui des « lumières » – que le premier essor se produisit. Mais s’ils apparaissaient un peu comme champignons après la pluie, la plupart ne survivaient pas longtemps. Il faut dire que la censure royale sévissait, et que si la Révolution essaya de proclamer la liberté de la presse, Napoléon eut vite fait d’y mettre le holà !

   En fait, c’est la technique qui allait permettre le développement de la presse au dix-neuvième siècle : l’invention de la rotative permit de rendre le tirage plus important, donc d’augmenter la diffusion, facilitée également par le développement des chemins de fer qui permettait d’emmener les copies loin des grandes villes.

   Pour tout journaliste de presse écrite, le bruit d’une rotative commençant à tourner est gravé à jamais dans sa mémoire. Et à l’époque héroïque, voir les rotativistes grimper sur leurs monstres faisait parfois froid dans le dos… L’époque du « plomb » faisait qu’une complicité (parfois rugueuse…) s’établissait entre ceux qui écrivaient les articles, ceux qui les composaient, les mettaient en page puis les imprimaient. Dans ce quotidien qui fut le mien, le vétéran qui m’engagea – il était éditorialiste depuis les années trente – me fit vite comprendre que le journal était une chaîne où chaque maillon avait sa responsabilité, et qu’on se devait de respecter tous ceux qui tiraient sur cette chaîne !

   En France, il fallut attendre la loi du 29 juillet 1881 pour que soit proclamée la « liberté de la presse », loi toujours en vigueur. C’est ainsi qu’au début du XXe siècle, le pays comptait environ 600 quotidiens, dont jusqu’à 80 à Paris ! Au moment du déclenchement de la Première guerre mondiale, la diffusion était de 244 exemplaires pour mille habitants – un record !

   Mais la guerre eut raison des belles intentions concernant la liberté de la presse. Anastasie (la censure) reprit ses ciseaux et coupa tout ce qui pouvait soit donner des renseignements à l’ennemi, soit démoraliser la population. Les journaux paraissaient alors avec des « blancs »,

  Dans ma carrière, j’ai connu ce genre de situation une première fois en 1973 au Liban, dans les prémisses de la guerre civile. « L’Orient – Le Jour », superbe quotidien où œuvrait l’ami Camille Menassa, paraissait avec des colonnes tronquées comme celles de Buren au Palais-Royal !

   La plus célèbre réaction à la censure fut celle d’une équipe de journalistes emmenée par… (cela ne s’invente pas) de guerre…) un nommé « Maréchal » ! Ce sont eux qui ont conçu leur « Canard » devenu le moins « enchaîné » des journaux. Dans notre rédaction genevoise, nous nous sommes toujours efforcés d’appliquer leur devise : « La liberté de la presse ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ! » Et je crois pouvoir dire que nous y avons réussi…

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