(PR) – « Formule dont on se sert en prenant congé de quelqu’un qu'on ne doit pas revoir de quelque temps ou qu'on ne doit plus revoir », nous disent les dictionnaires pour définir ce que des millions de Britanniques ont voulu et veulent encore dire à leur souveraine, Elizabeth II, dont les funérailles ont lieu aujourd’hui. On aura rarement vu une telle démonstration spontanée et sincère d’affection et de remerciement à l’égard de celle qui n’a fait « que », pendant soixante-dix ans, représenter leur nation.
« Adieu », étymologiquement parlant, vient de « ad Deum », pour dire « je vous recommande à Dieu ». Ceci n’inclut pas automatiquement un usage « funéraire » ; car, recommander quelqu’un à Dieu est, au contraire, la démonstration de l’affection, de l’estime que l’on porte à la personne à laquelle on s’adresse. En 1690, notre ami Antoine Furetière se contentait de dire, dans son « Dictionnaire Universel » qu’il s’agit d’un « terme de compliment, dont on se sert quand deux personnes amies se séparent, ou lors qu'on donne congé à quelqu'un, ou qu'on le prend ».
Cet « adieu » monumental que les Britanniques réservent à leur reine aura eu deux précédents qui n’avaient rien eu en commun, rien du tout, mais qui ont pourtant marqué profondément la vie et la royauté d’Elizabeth II.
Le premier avait eu lieu le 30 janvier 1965, avec les funérailles de Sir Winston Churchill. Le « vieux lion » représentait la période de la jeunesse de la future reine pendant la Seconde guerre mondiale, là où il sut galvaniser son pays afin, au travers « de la sueur, du sang et des larmes », qu’il garde sa liberté, à laquelle la monarque sera toujours attachée. Et c’est lui qui guidera les premiers pas de la toute jeune souveraine, l’attendant en 1952 à son retour du Kenya juste après le décès de son père. En accord parfait avec son pays, elle sut, lors des obsèques nationales du 30 janvier 1965, dire « adieu » à son mentor.
Trente ans plus tard, ce fut plus difficile, lorsqu’il s’agit de dire « adieu » à Lady Di, le 6 septembre 1997. Celle qui avait conquis le cœur d’une bonne partie du monde à la fois par sa grâce naturelle, sa simplicité, son dévouement pour les enfants, n’avait plus les faveurs de la reine.
Malgré le choc que fut son décès le 31 août 1995 à Paris, la souveraine murée dans son château de Balmoral n’avait apparemment pas saisi ce que cela représentait pour ses « sujets ». Il fallut la persuasion du premier ministre Tony Blair pour qu’Elizabeth II prenne en marche le train des « adieux » à la « princesse du peuple ». Elle rattrapera très bien sa bévue lors d’un discours émouvant, où elle réagit, disait-elle, en « grand-mère », ce qui, alors, toucha le cœur des Britanniques.
Depuis une semaine, ceux-ci auront été des millions, à lui dire « adieu et merci » pour ce qu’elle avait représenté pendant trois générations. Un phénomène qui n’a vraiment rien à voir avec d’autres « adieux » de masse que l’on a pu connaître au vingtième siècle. Par exemple pour le « Petit Père des peuples », Joseph Staline, en 1953, ou le « Grand Timonier », Mao Tsé-toung, en 1976, qui drainèrent des millions de pleureurs pour leurs obsèques, alors qu’ils avaient sur la conscience des millions de morts…
Une fois de plus, je fais appel à Brassens qui, dans sa merveilleuse « Supplique pour être enterré à la plage de Sète » plaignait les « pauvres rois, pharaons, pauvres grands disparus gisant au Panthéon » et qui, un jour, chantait-il, envieront « l’éternel estivant, qui fait du pédalo sur la vague en rêvant, qui passe sa mort en vacances ». Ce ne sera pas le cas d’Elizabeth II…