Deuil
(PR) – « Douleur, affliction éprouvée à la suite du décès de quelqu’un : le pays est en deuil, il pleure ses morts ». Cette définition du Larousse s’applique parfaitement à la situation dans laquelle se trouve le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord depuis qu’Elisabeth II n’est plus de ce monde. Même s’il savait bien que sa souveraine n’était pas éternelle, son décès a plongé son pays dans une sorte d’état second comme on en a rarement connu dans l’histoire contemporaine.
Notre ami Antoine Furetière, dans son Dictionnaire de 1690, avait déjà tout dit en évoquant la « douleur qu'on sent dans le cœur pour quelque perte ou accident, ou la mort de quelque personne chère. On a mené grand deuil par toute la France pour la mort de ce Prince, de ce Ministre ; toute la Province étoit en deuil. »
On entend souvent dire, de nos jours, qu’il faut « faire le deuil », ou, au contraire, « qu’on ne peut pas faire son deuil » ; dans ce cas, c’est parce que le corps de la personne décédée ne peut pas être récupéré, ou ne peut pas être présenté à sa famille, à ses amis, pour des raisons multiples.
En ce qui concerne feue la reine Elisabeth II, le « deuil » va pouvoir se « faire », puisque ce n’est que dans une semaine qu’elle sera inhumée aux côtés de son cher Philip, dans ce château de Windsor qu’elle aimait beaucoup. Durant la Seconde guerre mondiale, la famille royale y avait trouvé refuge pendant les bombardements de la Luftwaffe sur Londres. Le prochain séjour de celle qui n’était alors qu’une future reine devrait y être, cette fois, plus serein…
Il y aura trente ans en novembre, cette résidence royale était la proie des flammes. C’était l’événement qui mettait un terme à la désormais célèbre « annus horribilis » 1992, telle que la reine l’avait elle-même qualifiée. Il y avait de quoi, effectivement : d’abord son deuxième fils, Andrew, se séparait de son épouse Sarah, surprise en délicate posture avec un millionnaire texan ; ensuite, c’est sa fille Anne qui divorçait ; enfin son fils aîné, Charles, le futur roi, se séparait de son épouse Diana, avec les conséquences que l’on connaît.
Elisabeth II ne voulait surtout pas « faire le deuil » de son château préféré, berceau de la monarchie britannique depuis le XIe siècle, c’est-à-dire après qu’un certain Guillaume venu de Normandie devint « conquérant » en envahissant l’Angleterre. Le restaurer, certes, mais qui allait payer ?
Trente ans après, alors que le « deuil » s’est abattu sur tout le Royaume-Uni, il serait malséant de remuer certains souvenirs. Et pourtant, la même opinion publique britannique qui, aujourd’hui, compatit (à juste titre) à la douleur presque générale de tout un peuple, trouvait à l’époque que Sa Très Gracieuse Majesté – dont la fortune personnelle était estimée par le « Times » (qui n’a rien d’un journal gauchiste) à près de 500 millions d’euros – pouvait mettre la main à la poche pour restaurer un palais faisant partie de ses possessions. Suite à des tractations compliquées avec le gouvernement, Elisabeth II n’eut pas à « faire le deuil » de son château, qui pourra donc l’accueillir dignement.
Avec toute la pompe surannée dont elle est capable, la nation britannique s’apprête à faire des adieux grandioses à sa souveraine. Il ne manquera que Léon Zitrone pour célébrer ces « funérailles d’antan »… Rien à voir, cependant, avec celles que regrettait Georges Brassens où
« quand les héritiers étaient contents,
au fossoyeur, au curé, au croque-mort,
aux chevaux même
ils payaient un verre… »